Ruelle étroite avec des graffitis, sous la pluie, avec une silhouette au loin

Ciudad Juárez : la ville la plus dangereuse du Mexique, capitale mondiale du crime

Je me suis rendu dans bien des zones dangereuses au fil de mes voyages, mais Ciudad Juárez reste une destination à part. Cette ville mexicaine située à la frontière avec les États-Unis a longtemps porté le titre sinistre de « ville la plus dangereuse du monde ». Coincée face à El Paso au Texas, Juárez a traversé une période de violence extrême liée aux cartels de la drogue, avec des statistiques glaçantes : plus de 3800 morts en 2010 au plus fort de la crise.

La guerre des cartels : quand l’État mexicain affronte les rivaux d’El Chapo

Deux organisations criminelles majeures se disputent encore le contrôle de cette ville stratégique. D’un côté, le cartel de Juárez, surnommé « La Línea », organisation locale profondément enracinée. De l’autre, le cartel de Sinaloa, dirigé par le tristement célèbre Joaquín « El Chapo » Guzmán, considéré comme l’un des criminels les plus riches au monde selon Forbes.

En décembre 2006, le président mexicain Felipe Calderón a déclaré la guerre aux cartels de la drogue sur le territoire national. Cette offensive s’est traduite par le déploiement massif de l’armée et de la police fédérale à Juárez début 2008. Ironiquement, cette intervention a provoqué une explosion de la violence plutôt qu’une réduction. Des soupçons persistent que cette guerre visait principalement les rivaux d’El Chapo.

  • 2008 : 1300 personnes tuées
  • 2009 : 2300 personnes tuées
  • 2010 : 3800 personnes tuées (record)

Fait révélateur : c’est précisément lorsque l’armée a commencé à se retirer que le nombre d’homicides a chuté significativement, passant à 538 en 2014.

La drogue se vend « comme des tortillas » : 150 000 toxicomanes dans la ville

Je constate que la drogue est omniprésente dans les rues de Juárez. Selon les estimations locales, environ 150 000 personnes sont dépendantes principalement à l’héroïne – soit plus de 10% de la population. Auparavant, les cartels interdisaient la vente locale pour préserver leur marché américain bien plus lucratif.

Quand les Américains ont renforcé la frontière fin 2001, les narcotrafiquants mexicains se sont tournés vers le marché intérieur. Aujourd’hui, dans des quartiers comme la Mina, les stupéfiants se vendent sans dissimulation. Les « picaderos », ces squats gérés par les narcos, pullulent dans toute la ville. L’héroïne mexicaine, surnommée « mexican mud », ne coûte qu’environ 2,50 euros la dose, rendant la dépendance financièrement « accessible ».

Une consommation familiale et générationnelle

Il n’est pas rare de voir plusieurs générations d’une même famille partager leurs seringues, aggravant considérablement les problèmes sanitaires dans une ville déjà fragilisée.

Deux personnes échangent discrètement des fioles dans une ruelle sombre et animée.

Comment survivre dans la capitale du crime

Les habitants de Juárez ont développé une forme de résilience troublante. « On tue tous les jours, des gens disparaissent quotidiennement, et pourtant la vie continue », me confie un journaliste local. Cette normalisation de l’horreur est peut-être le phénomène le plus dérangeant que j’ai pu observer.

  1. Les gated communities se multiplient pour les familles qui peuvent se le permettre
  2. Les jeunes femmes des classes moyennes ne sortent jamais seules le soir
  3. Les sectes religieuses prolifèrent comme échappatoire psychologique

Des quartiers entiers comme Riberas del Bravo sont devenus des zones fantômes, avec des rangées de maisons abandonnées par leurs propriétaires ayant fui vers El Paso ou leurs régions d’origine. Les patrouilles de police circulent toujours lourdement armées, mais leur présence inspire souvent plus de crainte que de sécurité.

Derrière la frontière, une réalité économique désastreuse

Ciudad Juárez vit également une situation économique catastrophique. Les maquiladoras, ces usines d’assemblage qui se sont développées après l’ALENA en 1994, emploient principalement des jeunes femmes venues des zones rurales du sud du Mexique. Avec des salaires d’environ 55 euros par semaine, ces travailleuses permettent aux grandes entreprises internationales de produire à moindre coût.

La crise économique a frappé durement ce secteur, avec plus de 87 000 emplois perdus entre 2008 et 2009. Face à cette désolation économique, beaucoup de Juarenses basculent dans l’économie illégale, alimentant un cercle vicieux de violence et de pauvreté que même les efforts récents de réhabilitation peinent à briser.

La frontière, si proche et pourtant si inaccessible pour la majorité, symbolise parfaitement le paradoxe de cette ville : à vingt minutes de l’American Dream, mais enfermée dans un cauchemar mexicain.

André
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